Michel Jonasz est Abraham, son grand-père mort dans les camps. Seul sur scène, il envahit tout l’espace de sa présence imposante et incarne de façon émouvante cet homme sympathique et bon qu’il n’a pas connu, mais dont il va retracer des bribes de vie. La pièce démarre lorsqu’Abraham sait qu’il va mourir. Il comprend ce qui l’attend quand il pénètre le lieu où les déportés doivent se déshabiller pour les « douches », et pendant les quelques moments le séparant de la mort, va se remémorer sa vie. Juif polonais, il quitte à vingt ans ce pays « le plus triste du monde » pour la Hongrie, où il devient hazan (cantor) de la synagogue d’un charmant village de Hongrie, dont il tient aussi l’épicerie.
Jonasz nous fait vivre de façon intense, avec l’accent yiddish, sa rencontre et sa vie avec Rosele, sa femme bien-aimée, le bonheur familial avec ses sept enfants et les discussions incessantes, proches du pilpoul, avec son meilleur ami Yankel, naïf et susceptible. Face à lui, Abraham est malicieux, heureux de la vie qu’il mène, même s’il a des rêves de voyages. Mais en homme bon et posé, il sait se contenter de « petits bonheurs », comme celui de se moquer de son ami où de faire rougir la jolie Myriam. Avec comme seul décor un banc en bois, Michel Jonasz réussit l’exploit de nous faire « voir » et sentir le village d’Abraham, ses commerçants, son épicerie, ses enfants, la synagogue et Rosele. Merveilleux acteur, il reste aussi ce chanteur inimitable, qui met aujourd’hui sa voix de soulman juif au service d’un répertoire qu’il a créé spécialement pour la pièce. Enregistrées à Budapest, les chansons aux orchestrations tziganes qu’il interprète, sont tour à tour tendres, drôles, toujours empreintes de ces mélodies nostalgiques qui sont la marque du Jonasz des « vacances au bord de la mer ».
Selon lui, ce spectacle n’est pas universel, puisqu’il s’agit avant tout de l’histoire de sa famille. En ce sens, il a raison, et pourtant, même si chaque histoire est unique, en 1h20 tout est dit. Un monde simple, où le bonheur, la religion, l’amour des siens, rendaient heureux malgré la pauvreté. Et ce monde-là, à tout jamais englouti, ressurgit devant nous par la grâce de Jonasz. Une magnifique pièce, très joliment écrite, où malgré l’horreur qui nous étreint, on rit beaucoup, car l’humour juif reste le plus fort.
Arielle Granat
Au Théâtre de la Gaîté-Montparnasse, 26 rue de la Gaîté, 75014 Paris, tous les dimanche (15h) et lundi (20h), jusqu’à fin mars
dimanche 17 janvier 2010
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C'est aussi une pièce que je recommande vivement ! La chronique reflète bien l'immense talent de Michel Jonasz : on en sort ému et en même temps heureux d'avoir tellement ri !
RépondreSupprimerComme le dit son auteur,quand on a vu cette pièce, on a l'impression qu'il s'agit de notre propre histoire!
RépondreSupprimerLa mise en scène minimaliste est "grandiose", et l'acteur, auteur, metteur en scène nous conduit dans ce schtetl avec humour, bonhommie et bienveillance; sa douceur accentue le drame.
BRAVO!
Très belle initiative que ce blog et ses excellentes chroniques, qui permettent de découvrir, de choisir ses sorties. Continuez !
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