mardi 8 mars 2011

Precious Life, un film choc sur le conflit israélo-palestinien


Shlomi Eldar est reporter dans le  monde arabe pour la chaîne privée israélienne Channel 10. Pendant 20 ans, il a posé son regard de journaliste sur la bande de Gaza, témoigné des aspects humains de la situation dans ce territoire coincé entre Israël et l'Egypte. En 2007, Eldar reçoit le prestigieux prix Sokolov, équivalent israélien du prix Pulitzer, le jury récompensant son travail, qui a "su apporter au public israélien des images d'une réalité complexe qui n'est pas toujours agréable à regarder en face". Son visage a été médiatisé dans le monde entier lorsqu'un soir de janvier 2009, pendant l'opération Plomb durci, il reçoit un appel téléphonique en direct à l'antenne. Son ami, le docteur Izzeldin Abou El-Eish, médecin palestinien qui travaille à l'hôpital Tel Hashomer de Tel-Aviv, vient de perdre trois de ses filles et une nièce dans un bombardement de sa maison par l'armée israélienne.


"Precious Life" a été tourné avant le début de l'opération Plomb durci. Mohammad, un bébé de 4 mois originaire de Gaza,  né sans système immunitaire, va sans doute mourir faute de trouver l'argent nécessaire pour une greffe de moelle osseuse.  Contacté par un médecin de Tel Hashomer, le docteur Raz Somech, Shlomi Eldar réalise un sujet pour Channel 10, et un donateur anonyme offre la somme de 55 000 $ nécessaire à l'opération et au traitement de l'enfant. Eldar déclare que sa "mission de journaliste était remplie" mais que "pour une raison inexpliquée, quelque chose l'a retenu à l'hôpital". Ce sont les formidables images tournées pendant les mois suivants, qui sont au coeur de "Precious Life", vibrant plaidoyer pour un changement des mentalités dans la région.

L'un des personnages central du film est Raïda, la mère du petit Mohammad, qui illustre à merveille l'un des paradoxes du conflit entre palestiniens et israéliens, coincée entre sa volonté de voir son enfant survivre, grâce aux soins prodigués par ses "ennemis", et sa position de palestinienne de Gaza, prise à partie par ses concitoyens comme une "collaboratrice". Profondément croyante, elle répond au cinéaste, dans une scène d'une rare intensité, qu'elle serait prête à sacrifier son fils comme martyr, au nom d'Allah. Shlomi Eldar raconte que cette scène l'a tellement déprimé et mis en colère qu'il a un moment souhaité interrompre le tournage de son film. 


Aux côtés de la famille de Mohammad, dont on suit la lutte pour la survie de leur bébé comme une fiction éprouvante et captivante, le docteur Raz Somech reste l'autre figure marquante de "Precious Life". Si l'espoir d'un règlement du conflit persiste, on le doit à des hommes de cette trempe,  qui placent l'abnégation et la générosité au-dessus de tout sentiment. Même après avoir visionné la scène où Raïda se dit prête à sacrifier son fils comme martyr, celui-ci n'a qu'une seule réaction : "Je m'en fiche !", qui fera dire à Raïda "Cet homme n'est pas un docteur, c'est un ange". Le film de Shlomi Eldar foisonne de tels moments émouvants, et d'autres surprenants, comme la vision de palestiniens de Gaza découvrant les abords de l'hôpital, s'étonnant de fouler une pelouse, ou encore confrontés aux festivités du 60ème anniversaire d'Israël.


Présent lors de l'avant-première du film, qui sera projeté dans le cadre du 11ème Festival du Cinéma Israélien de Paris, le réalisateur a expliqué avoir eu "beaucoup de réactions de la part d'Israéliens qui ont eu le sentiment que le film leur avait offert un regard inédit sur la vie à Gaza." ajoutant que "cela fonctionne dans les deux sens, car la diabolisation entre les deux peuples est l'un des problèmes les plus graves. On ne peut l'endiguer qu'à partir du moment où on apprend à se connaître. Ce qui est étonnant, c'est que le seul espace où cela se déroule actuellement, c'est dans les hôpitaux israéliens, où Israéliens et Palestiniens se battent côte à côte dans un but commun". Si Shlomi Eldar est bien conscient, comme il l'a également déclaré lors du débat qui a suivi la projection, que le Hamas reste un parti intégriste, une  organisation corrompue, comme l'Autorité palestinienne, et qu'elle constitue une "base avancée " de l'Iran, il affirme que la paix ne pourra venir que des populations, non de ses gouvernants. "Precious Life" est une oeuvre non seulement extraordinaire d'un point de vue cinématographique,  qui vous hante longtemps après sa vision, mais aussi un film utile, à montrer à tous ceux qui tiennent un discours figé et radical sur le conflit.

Alain Granat

La bande-annonce de "Precious Life" (sortie nationale le 23 mars)

4 commentaires:

  1. Une lueur d'espoir, merci pour cette très belle chronique !

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  2. Un article trés bien écrit, avec pudeur, décence et talent. Merci Alain, j'ai toujours plaisir à te lire :)

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  3. Très très beau texte, qui donne envie de voir le film, et surtout de croire en l'avenir.
    Merci.

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