La première souris a avoir marqué l'histoire de la BD fut Mickey. Celles créées en 1986 par Art Spiegelman dans son oeuvre "Maus" ont sans aucun doute révolutionné le genre, valant à son auteur le seul Prix Pulitzer jamais décerné à une bande-dessinée. Pour sa 38ème édition, le Festival d'Angoulême vient de couronner cette figure légendaire de la BD underground, en lui décernant son Grand Prix. Le troisième pour un auteur américain, après Will Eisner et Robert Crumb.
Art Spiegelman, né en 1948 à Stockholm de parents juifs polonais rescapés de la Shoah, a débuté sa carrière d'auteur de comics à la fin des 60's, tout en collaborant à la création des célèbres Crados, ces personnages qui firent scandale en France dans les années 80. Le thème de la Shoah est omniprésent, voire obsessionnel dans l'oeuvre de Spiegelman, qui publie déjà, 14 ans avant la création de son chef-d'oeuvre "Maus", des planches sur le sujet.
C'est en 1980, avec son épouse d'origine française, Françoise Mouly, aujourd'hui directrice artistique du prestigieux magazine culturel The New Yorker, qu'il édite "Raw", revue alternative à la pointe des nouvelles tendances graphiques et narratives de la bd. "Maus" y sera alors publié sous forme de feuilleton.
Si Art Spiegelman n'est pas le premier créateur a avoir utilisé le procédé de zoomorphisme pour imager la barbarie nazie (La Bête est morte, du dessinateur français Calvo, publié en 1944, relate déjà, mais de façon très mythifiée, la seconde guerre mondiale), il réalise avec "Maus" l'équivalent pour le 9ème Art du "Shoah" de Lanzmann. Une oeuvre majeure tentant de représenter l'innommable, qui entrelace le récit de son père rescapé des camps et celui de son fils, auteur de BD, qui se "débat pour survivre au survivant". Dans "Maus", les Juifs sont donc des souris, les Allemands des chats, les Polonais des porcs... Les deux volumes, sous-titrés "Un survivant raconte", seront publiés en France par Flammarion, connaîtront un succès mondial, avec des traductions en dix-huit langues, "Maus" faisant par ailleurs l'objet d'une exposition au musée d'Art moderne de New York.
Spiegelman, qui travaille actuellement sur "Meta-Maus", sa prochaine BD prévue pour fin 2011, où il racontera la genèse de "Maus" et notamment son choix de représenter les Juifs par des souris, a déclaré, après le sacre d'Angoulême : "Vu mes pauvres talents en tant que dessinateur, je me sens un peu comme le président Obama quand il a reçu le prix Nobel de la paix", ajoutant "Comme l'a dit mon épouse, qui est française, en l'apprenant : oh merde !". Un "juste prix" décerné à un auteur dont l'oeuvre dépasse largement le cadre de la BD. Comme le dit son éditeur en 4ème de couverture : "Oubliez vos préjugés : ces souris-là ont plus à voir avec Kafka ou Orwell qu'avec Tom et Jerry. Ceci est de la vraie littérature."
Quel merveilleux travail a été accompli par Art Spiegelman, pour lui-même sans doute, et pour nous aussi. Il a su montrer, en passant, les difficiles relations entre les survivants et leurs enfants. Ces oeuvres sont des chefs- d'oeuvre. Il était temps de s'en apercevoir officiellement, mais mieux vaut tard que jamais !
RépondreSupprimerCathie Fidler